En fait, à bien y réfléchir, la raison derrière ce qui pourrait apparaitre comme un mystère est relativement simple : les économistes sont incapables de bâtir des théories à la manière des physiciens ou des biologistes par exemple, tant l’objet de leurs études, l’être humain et ses comportements, est complexe. Alors, plutôt que de le reconnaître humblement et d’en tirer les conséquences pratiques, ils préfèrent évacuer  tout ce qu’ils ne maîtrisent pas et se concentrer sur un monde qui n’existe pas avec ses "lois du marché",  sa "main invisible" et ses "agents économiques" supposés parfaitement informés en temps réel et maitrisant toutes les subtilités des mécanismes économiques, mais n’ayant ni âme ni conscience morale. C’est tellement plus facile. Dommage que ce soit tout, sauf scientifique ! Faut-il alors s’étonner des graves carences de cette pseudoscience qui prétend nous dire comment organiser le monde ?

Si la première phrase citée plus haut ne m’a pas choqué plus que ça, j’ai beau retourner la deuxième dans tous les sens, elle me donne toujours la même envie : vomir. Je me disais que j’allais faire la liste des "externalités négatives" comme on dit chez Delaigue et ses collègues, afin de lui montrer que non, décidément non, en aucun cas, la prostitution ne peut être considérée comme "un échange globalement avantageux pour tous" et que, même pour rire, on ne peut pas écrire une ignominie pareille. Et puis j’ai réalisé que c’était totalement inutile sinon indécent. A quoi bon parler des horreurs de la prostitution et de ses ravages associés comme le trafic d’êtres humains ou le trafic de drogue ? Qu’est-ce que cela peut apporter au débat, d’écouter Eric Vernier, un économiste lui aussi, expliquer, lors du colloque sur les paradis fiscaux qui s’est tenu le 26 mai dernier à l’Assemblée, que si il supportait encore, après toutes ces années, d’étudier les circuits de l’argent sale, ce n’était qu’en faisant preuve d’un minimum de cynisme ? Tout cela ne sert strictement à rien face à ce type de position dogmatique, drapée dans un manteau de certitudes, soutenue par des années d’études qui vous ont proprement lavé le cerveau et qui vous empêchent de voir que derrière les concepts manipulés, confortablement assis dans un fauteuil, il y a une réalité, celle de la souffrance et de la misère humaine.

Les petits arrangements des économistes pour évacuer de leurs théories la triste condition humaine ne seraient  finalement pas grand-chose s’ils ne donnaient pas lieu à de tels dérapages. Ne dit on pas que la science, lorsqu’elle est sans conscience, n’est que ruine de l’âme ? Alors, messieurs les économistes, si vous décidiez enfin de prendre en compte la dimension morale de l’être humain dans vos études, peut-être vos résultats seraient-ils plus probants ? Cela vous éviterait au moins de proférer des monstruosités pareilles.