D’entrée de jeu, l’auteur de l’article, un dénommé Grégory Salle, annonce la couleur : il s’agit ni plus ni moins d’un retournement de veste qui va être dénoncé, du même genre que ceux décrits par F.Lordon lors de la conférence mentionnée plus haut. Bigre, c’est donc du lourd qui nous attend. Avant d’aller plus loin, je dois faire un aveu : j’aime bien B.Maris. Ses anti manuels d’économie sont fort didactiques et très bien écrits (surtout le premier), ses chroniques sur Marianne2 sont souvent pertinentes (celle-ci en particulier) et les rares fois où je l’ai vu à la télé (que je ne regarde pratiquement pas), il était tout à fait convaincant. Cette mise au point étant faite, revenons en au sujet qui nous intéresse ici, la supposée trahison de B.Marris. L’auteur se propose de la mettre en évidence en comparant deux textes écrits à plus de 15 ans d’intervalle. Et tout de suite, l’esprit critique dont se revendique ACRIMED, se met en éveil. En supposant que B.Maris ait changé d’avis, peut-on réellement parler de retournement de veste sur une durée aussi longue ? La question reste temporairement en suspens.

Le premier texte de B.Maris qui va servir de pièce à conviction est la recension parue récemment dans Marianne, du dernier bouquin d’A.Minc. Elle est accusée de flirter avec la vacuité (ce que je suis prêt à admettre, l’ayant lue - avant de voir la critique d’ACRIMED - et l’ayant trouvée plutôt mauvaise) et d’utiliser un ton flatteur, ce qui ne me parait absolument pas évident. J’aurais plutôt tendance à qualifier le ton d’ironique, s’il fallait vraiment trouver un qualificatif. Le deuxième texte a été publié dans Charlie Hebdo en 1994 et descend proprement en flèche le même A.Minc (le "ravi ahuri de sa vacuité", le "minet des télés", le "crétin qui ferait passer Régis Debray pour un penseur") dans un style potache et excessif digne des meilleurs journaux satiriques.

Et alors, me direz-vous (vous me le dites ?), B.Maris s’est calmé, il a vieillit, il a murit. Son style s’est assagi. L’adolescent attardé est devenu adulte. Le révolté a fait place au désabusé ? La belle affaire ! De plus, on n’écrit certainement pas de la même façon pour Charlie Hebdo et pour Marianne. Enfin, comme remarqué plus haut, 15 ans ont passé. Il faut replacer ces cons de textes dans leur contexte. Le combat contre l’idéologie néolibérale a récemment changé de nature, l’outrance dans la critique n’est plus forcément nécessaire tant la réalité a pu dépasser la fiction. Franchement, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat (ou fusiller Eric Besson) et l’on se demande si l’auteur de ce réquisitoire a un compte particulier à régler avec Maris pour tenter de le discréditer avec si peu d’arguments.

La fin de l’article éclaire notre lanterne. Le bon Grégory Salle finit par expliquer ce qu’il cherchait à faire, en avouant que "c’est moins l’évolution de Bernard Maris en tant que telle qui nous importe que ce qu’elle révèle" Et que révèle-t-elle donc l’évolution de B.Marris ? Mais c’est  bien sûr : sa collusion avec le patron de Charlie Hebdo, Philippe Val, dans la grande conspiration visant à prendre le pouvoir à France Inter. CQFD !!! Comment cela se fait-ce donc que nous n’ayons pas vu le coup venir ? Dieu merci, ACRIMED est là pour nous ouvrir les yeux !

Trêve de plaisanterie ! On reste pantois devant la faiblesse de la démonstration. La critique est certes nécessaire mais elle doit rester un moyen d’action, et ne pas devenir une fin en soi, servant de prétexte à des dénonciations calomnieuses bancales, sous peine de décrédibiliser totalement ses auteurs. Si ACRIMED veut vraiment prouver que les prises de position de B.Maris sont conditionnées par son ambition, il va falloir qu’ils se mettent sérieusement au travail. On ne se contentera pas de ce genre de prose vite et mal écrite, pour se laisser convaincre.