F.LORDON chez ACRIMED : Les médias et la crise
Par RST le vendredi, 6 février 2009, 16:58 - Divers - Lien permanent
Comme prévu, j’ai donc assisté
hier soir (5 février) à la conférence
organisée par ACRIMED avec F.Lordon sur « Les médias et la crise ». Je
ne connaissais pas vraiment ACRIMED qui est une association se définissant
comme un observatoire critique des médias. La salle de la Bourse du Travail
était pleine ; nous étions au moins 120 malgré, comme l’a fait remarquer
F.Lordon pour chauffer la salle, la rude concurrence que constituait, dans le
même temps, la prestation télévisuelle du Président de la République. Je ne
prétends pas livrer ici un compte rendu exhaustif de la soirée (j’imagine que
la vidéo sera disponible sur le net) mais donner un certain nombre
d’informations ainsi que mes impressions.
Ceci étant posé, la légèreté sophistiquée
de la forme ne nuit aucunement au fond du
propos qui conserve un grand intérêt. Elle nuit par contre à la prise de notes
tant il est vrai que l’on a tendance à lever le stylo pour profiter au maximum
du talent de l’orateur !
F.Lordon a commencé par démontrer
que, dans le cadre de cette crise, la question des responsabilités était certes
impérieuse mais qu’il fallait savoir la dépasser pour ne pas s’arrêter aux
responsables apparents, qu’ils soient "vulgaires" (banquiers, financiers, traders, …) ou "sophistiqués" (Alan Greenspan, …)
mais rechercher les responsables réels. Pour cela, il faut s’intéresser aux
structures (comprendre les structures capitalistes : le système bancaire,
les salles de marché, les principes de rémunération, …) car ce sont elles qui
configurent les intérêts et définissent le cadre dans lequel les divers agents
vont se mouvoir et éventuellement se livrer aux excès que nous connaissons. Les
vrais responsables de la crise ne sont donc pas les agents mais les architectes
de ces structures (en gros, le pouvoir politique) et les propagandistes qui en
ont vanté les vertus. Pour remédier à ces excès, faire appel à l’éthique des
individus est totalement inutile, ce qu’il faut c’est changer les structures.
Après ce qui aurait pu passer
pour une digression, on se retrouve ainsi ramenés au cœur du sujet de la
conférence, à savoir le rôle des propagandistes c'est-à-dire des médias. A
noter que le terme "propagandiste" n’a pas de connotation péjorative
dans l’esprit de F.Lordon qui se définit lui-même comme tel. Nous avons alors
droit à un florilège de déclarations plus contradictoires les unes que les
autres de gens de presse comme Laurent Joffrin ou Serge July, mais aussi
d’économistes, montrant comment les positions ont pu radicalement évoluer au
fil du temps pour coller aux événements et éviter de reconnaitre ouvertement
que l’on a pu se tromper. Cette partie du débat qui a donné lieu à quelques
fou-rires était certes utile mais ne nous apprenait rien de vraiment nouveau.
Beaucoup plus intéressant était
la vision de F.Lordon de ses rapports avec les médias. On comprend rapidement
que si il ne passe pas au 20 h de TF1 ce n’est pas la faute des journalistes mais
… la sienne ! En effet, comme le revendiquait quelqu’un comme P. Bourdieu si
je ne m’abuse, F.Lordon refuse de se plier aux exigences du format imposée par
les médias. Il considère qu’il est impossible de s’exprimer correctement et de
développer une pensée construite en moins de 2 minutes lors d’une interview ou
de présenter sérieusement ses arguments dans les débats où règne la dictature du
slogan érigé en système de pensée. F.Lordon pose donc ses conditions pour
intervenir, conditions qui ne sont que très rarement acceptées. Ainsi a-t-il
été amené à refuser une chronique journalière sur une grande radio, proposant
comme alternative que cette chronique soit réalisée par une équipe d’une quarantaine
d’économistes qui interviendraient successivement (et gratuitement) pour une
chronique journalière d’au moins six minutes. Ce principe permettant d’assurer
des sujets renouvelés et pertinents chaque jour n’a bien évidemment pas été
retenu. Pour F.Lordon, tous les
chroniqueurs sans exception deviennent rapidement des crétins tant il est
impossible de se renouveler sur un rythme journalier qui entraîne
nécessairement des redites ou des sujets bâclés.
Plus globalement, compte tenu des
réticences exprimées ci-dessus, F.Lordon s’interroge sur la pertinence pour les
représentants d’associations comme ATTAC par exemple de passer à la télévision.
Cela peut certes être une occasion de défendre ses idées mais n’est-ce pas
finalement contre-productif vu les conditions qui limitent l’expression
argumentée de la pensée et facilitent la caricature ?
J’ouvre ici une petite
parenthèse. J’ai été assez surpris par la charge de l’animateur d’ACRIMED
vis-à-vis … d’ATTAC qui n’aurait pas assez ou pas du tout dénoncé la
financiarisation des médias. Déjà, ce n’est pas gentil de tirer sur l’ambulance
tant il est vrai qu’aujourd’hui, ATTAC n’a plus rien à voir avec l’association
d’éducation populaire qui avant 2005 je crois,
pouvait revendiquer 30.000 adhérents. Des luttes intestines sont passées
par là et l’association n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ensuite je ne
comprends pas l’intérêt de ce genre de polémique. N’y aurait-il pas assez
d’ennemis extérieurs à dénoncer avant de s’en prendre à ceux qui, d’une certaine
manière sont dans votre camp ? C’est vraiment un mal endémique de cette "gauche
de la gauche" que de passer son temps à s’entre déchirer sous les regards
hilares de ses adversaires. Cela ne donne pas vraiment confiance sur leur
capacité à gouverner si le pouvoir était un jour conquis ! Enfin, il est
quand même paradoxal de reprocher à ATTAC de ne pas avoir traité ce sujet (ce
qui n’est pas forcément exact) alors qu’une des raisons de sa lente
autodestruction est précisément de s’être éparpillée en abordant tous les
domaines, des OGM à la Palestine en passant par les droits de femmes. Alors
certes, tout est dans tout, mais l’efficacité aurait commandé de se concentrer
sur les problèmes directement liés à l’économie et à la mondialisation. Parenthèse
refermée !
A la question classique de la
traduction politique qu’il compte éventuellement donner à ses idées, F.Lordon indique que,
conformément à sa vision d’une division du travail efficace, ce point
particulier ne le concerne pas mais est typiquement le problème des partis
politiques dont l’une des tâches et de s’approprier les idées lancées par
d’autres. Il se considère comme un penseur et revendique le droit pour les
autres de piller ses propositions ! Pour appuyer sa démarche,
F.Lordon fait remarquer qu’il n’a absolument aucun sens de l’organisation. "Donnez moi l’armée chinoise"
dit-il-il "et en 2 mois je la
transforme en camp de hippies" ! ce qui, soit dit en passant,
n’est pas forcément une mauvaise idée ! Pour illustrer cette lacune dans
ses capacités, il signale que la pétition « Spéculation et crises : ça
suffit ! » qu’il a lancé en mars 2008 a fait un flop monumental,
probablement parce que trop prématurée.
Interrogé sur sa vision du rôle d’internet, il avoue ne pas être qualifié pour s’exprimer sur ce sujet mais indique cependant qu’il se méfie des blogs car ils peuvent dégénérer très vite dans un sens (agressivité extrême) comme dans l’autre (phénomène de fan club). C’est donc avec beaucoup de regrets que je vais devoir abandonner mon titre de Président autoproclamé du fan club de F.Lordon !
Cela ne m’empêchera pas cependant de continuer à penser que F.Lordon est vraiment un type bien (même si visiblement, il n’apprécie pas beaucoup Emmanuel Todd !). Et en attendant son prochain spectacle nous devrions pouvoir bientôt écouter une nouvelle émission réalisée avec Pascale Fourier prévue le 25 février comme annoncé sur "J'ai dû louper un épisode...."