Ceci étant posé, la légèreté sophistiquée de la  forme ne nuit aucunement au fond du propos qui conserve un grand intérêt. Elle nuit par contre à la prise de notes tant il est vrai que l’on a tendance à lever le stylo pour profiter au maximum du talent de l’orateur !

F.Lordon a commencé par démontrer que, dans le cadre de cette crise, la question des responsabilités était certes impérieuse mais qu’il fallait savoir la dépasser pour ne pas s’arrêter aux responsables apparents, qu’ils soient "vulgaires"  (banquiers, financiers, traders, …) ou "sophistiqués" (Alan Greenspan, …) mais rechercher les responsables réels. Pour cela, il faut s’intéresser aux structures (comprendre les structures capitalistes : le système bancaire, les salles de marché, les principes de rémunération, …) car ce sont elles qui configurent les intérêts et définissent le cadre dans lequel les divers agents vont se mouvoir et éventuellement se livrer aux excès que nous connaissons. Les vrais responsables de la crise ne sont donc pas les agents mais les architectes de ces structures (en gros, le pouvoir politique) et les propagandistes qui en ont vanté les vertus. Pour remédier à ces excès, faire appel à l’éthique des individus est totalement inutile, ce qu’il faut c’est changer les structures.

Après ce qui aurait pu passer pour une digression, on se retrouve ainsi ramenés au cœur du sujet de la conférence, à savoir le rôle des propagandistes c'est-à-dire des médias. A noter que le terme "propagandiste" n’a pas de connotation péjorative dans l’esprit de F.Lordon qui se définit lui-même comme tel. Nous avons alors droit à un florilège de déclarations plus contradictoires les unes que les autres de gens de presse comme Laurent Joffrin ou Serge July, mais aussi d’économistes, montrant comment les positions ont pu radicalement évoluer au fil du temps pour coller aux événements et éviter de reconnaitre ouvertement que l’on a pu se tromper. Cette partie du débat qui a donné lieu à quelques fou-rires était certes utile mais ne nous apprenait rien de vraiment nouveau.
Beaucoup plus intéressant était la vision de F.Lordon de ses rapports avec les médias. On comprend rapidement que si il ne passe pas au 20 h de TF1 ce n’est pas la faute des journalistes mais … la sienne ! En effet, comme le revendiquait quelqu’un comme P. Bourdieu si je ne m’abuse, F.Lordon refuse de se plier aux exigences du format imposée par les médias. Il considère qu’il est impossible de s’exprimer correctement et de développer une pensée construite en moins de 2 minutes lors d’une interview ou de présenter sérieusement ses arguments dans les débats où règne la dictature du slogan érigé en système de pensée. F.Lordon pose donc ses conditions pour intervenir, conditions qui ne sont que très rarement acceptées. Ainsi a-t-il été amené à refuser une chronique journalière sur une grande radio, proposant comme alternative que cette chronique soit réalisée par une équipe d’une quarantaine d’économistes qui interviendraient successivement (et gratuitement) pour une chronique journalière d’au moins six minutes. Ce principe permettant d’assurer des sujets renouvelés et pertinents chaque jour n’a bien évidemment pas été retenu. Pour  F.Lordon, tous les chroniqueurs sans exception deviennent rapidement des crétins tant il est impossible de se renouveler sur un rythme journalier qui entraîne nécessairement des redites ou des sujets bâclés. 

Plus globalement, compte tenu des réticences exprimées ci-dessus, F.Lordon s’interroge sur la pertinence pour les représentants d’associations comme ATTAC par exemple de passer à la télévision. Cela peut certes être une occasion de défendre ses idées mais n’est-ce pas finalement contre-productif vu les conditions qui limitent l’expression argumentée de la pensée et facilitent la caricature ?

J’ouvre ici une petite parenthèse. J’ai été assez surpris par la charge de l’animateur d’ACRIMED vis-à-vis … d’ATTAC qui n’aurait pas assez ou pas du tout dénoncé la financiarisation des médias. Déjà, ce n’est pas gentil de tirer sur l’ambulance tant il est vrai qu’aujourd’hui, ATTAC n’a plus rien à voir avec l’association d’éducation populaire qui avant 2005 je crois,  pouvait revendiquer 30.000 adhérents. Des luttes intestines sont passées par là et l’association n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ensuite je ne comprends pas l’intérêt de ce genre de polémique. N’y aurait-il pas assez d’ennemis extérieurs à dénoncer avant de s’en prendre à ceux qui, d’une certaine manière sont dans votre camp ? C’est vraiment un mal endémique de cette "gauche de la gauche" que de passer son temps à s’entre déchirer sous les regards hilares de ses adversaires. Cela ne donne pas vraiment confiance sur leur capacité à gouverner si le pouvoir était un jour conquis ! Enfin, il est quand même paradoxal de reprocher à ATTAC de ne pas avoir traité ce sujet (ce qui n’est pas forcément exact) alors qu’une des raisons de sa lente autodestruction est précisément de s’être éparpillée en abordant tous les domaines, des OGM à la Palestine en passant par les droits de femmes. Alors certes, tout est dans tout, mais l’efficacité aurait commandé de se concentrer sur les problèmes directement liés à l’économie et à la mondialisation. Parenthèse refermée !   

A la question classique de la traduction politique qu’il compte éventuellement  donner à ses idées, F.Lordon indique que, conformément à sa vision d’une division du travail efficace, ce point particulier ne le concerne pas mais est typiquement le problème des partis politiques dont l’une des tâches et de s’approprier les idées lancées par d’autres. Il se considère comme un penseur et revendique le droit pour les autres de piller ses propositions ! Pour appuyer sa démarche, F.Lordon fait remarquer qu’il n’a absolument aucun  sens de l’organisation. "Donnez moi l’armée chinoise" dit-il-il "et en 2 mois je la transforme en camp de hippies" ! ce qui, soit dit en passant, n’est pas forcément une mauvaise idée ! Pour illustrer cette lacune dans ses capacités, il signale que la pétition « Spéculation et crises : ça suffit ! » qu’il a lancé en mars 2008 a fait un flop monumental, probablement parce que trop prématurée.

Interrogé sur sa vision du rôle d’internet, il avoue ne pas être qualifié pour s’exprimer sur ce sujet mais indique cependant qu’il se méfie des blogs car ils peuvent dégénérer très vite dans un sens (agressivité extrême) comme dans l’autre (phénomène de fan club). C’est donc avec beaucoup de regrets que je vais devoir abandonner mon titre de Président autoproclamé du fan club de F.Lordon !

Cela ne m’empêchera pas cependant de continuer à penser que F.Lordon est vraiment un type bien (même si visiblement, il n’apprécie pas beaucoup Emmanuel Todd !). Et en attendant son prochain spectacle nous devrions pouvoir bientôt écouter une nouvelle émission réalisée avec Pascale Fourier prévue le 25 février comme annoncé sur "J'ai dû louper un épisode...."