Comptabilité : aux normes, Citoyens !
Par RST le lundi, 19 janvier 2009, 22:07 - Macroéconomie - Lien permanent
Quand on s’initie à l’économie à un âge avancé comme c’est mon cas, et que l’on aborde, de par sa formation initiale, cette discipline avec un esprit habitué à une certaine rigueur toute scientifique, on va d’étonnement en étonnement. Ainsi, la découverte du rôle des normes comptables dans la crise actuelle a largement de quoi surprendre le néophyte, autant que la prise de conscience que la comptabilité est une affaire qui ne concerne pas seulement les comptables, mais qu’elle reflète une certaine conception du fonctionnement de l’économie et que les choix qui sont faits ont une dimension éminemment politique.
Le premier sujet d’étonnement est
de constater que sous la pression des institutions financières américaines et
britanniques, les gouvernements européens ont décidé, en janvier 2005,
d’imposer de nouvelles normes (IFRS), élaborées par une institution privée, l’ "International Accounting Standard
Board" (IASB, Comité des normes comptables internationales). Une fois de
plus, l’Europe s’est visiblement soumise sans protester aux impositions des
anglo-saxons et à la dictature des … actionnaires. Comme l’a écrit J.Richard
bien avant le début de la crise (1) :
« En fait, la véritable raison du changement de paradigme est une affaire de dividendes. Tout simplement, les actionnaires actuels et leurs dirigeants ne sont pas intéressés par davantage d’information, mais par davantage d’argent à court terme, et c’est au niveau de cette revendication que la comptabilité joue un rôle essentiel. »
En effet, avant qu’elles ne
changent, les règles prévoyaient (si j’ai bien compris) en vertu d’un principe
de prudence, que ne soient pris en compte que les moins-values potentielles et
non les plus-values. Avec les nouvelles normes, les plus-values (ou
moins-values) potentielles d’un actif, calculées à partir d’une estimation des
gains (ou pertes) à venir sont alors immédiatement prises en compte. Tant que
la tendance était à la hausse, ce système permettait de distribuer plus de
dividendes qu’avec les anciennes normes. Avec la chute des bourses, il accentue
la dégringolade. Une des conséquences de ce
changement de réglementation motivé principalement, comme nous l’avons vu, par
l’appât du gain, nous est expliquée par M. Michaux (2) :
N’est-il pas paradoxale que le marché, dont les immenses vertus, supposées capables d’assurer le bonheur de l’humanité sous les auspices bienveillants de la main invisible, nous sont constamment rappelées, soit incapable de tout simplement donner le prix d’un actif ? Et n’est-il pas proprement stupéfiant que, une fois la constatation faite de l’impuissance de ce même marché, soit proposée comme mesure palliative le "mark to model", c'est-à-dire l’auto-évaluation au moyen d’un modèle mathématique conçu par celui qui détient l’actif, du prix de cet actif ? F.Lordon(3) ne dit pas autre chose quand il écrit:« Il faut dire que les nouvelles normes comptables (…) obligent les banques et les fonds d'investissement à évaluer leurs actifs, notamment leurs portefeuilles de crédits structurés, au prix du marché, le "mark to market". Or, dans les conditions extrêmes de la crise financière actuelle, avec un marché qui se tarit totalement faute de transactions, ces actifs sont bons pour la casse. »
« En bonne logique libérale, si le marché est roi, ses verdicts sont sans appel: impossibilité de vendre faute d'acheteur implique prix de marché = 0. Tout rond. Mais pour les banques qui en ont jusqu'au toit, c'est un peu violent. Heureusement, les hérauts du marché ont la doctrine à géométrie variable. Si le "marking-to-market" est impossible – ou plus exactement déclaré impossible parce qu'il est trouvé trop raide -, on procédera autrement. A défaut du marché, on tirera un prix artificiel - car sans correspondance avec une épreuve marchande - des modèles mathématiques de valorisation des actifs. Les prix ne seront plus "marked-to market" mais "marked-to-model". C'est déjà beaucoup plus confortable: au moins les modèles ne diront pas « 0 », si on le leur demande comme il faut »
Autrement dit, tant que le marché
me dit : "tu es riche", j’écoute le marché, j’aime le marché, je
vénère le marché. Mais dès qu’il me dit : "tu es ruiné, ce que tu
possèdes ne vaut plus tripette" j’oublie le marché et je fais ma petite
cuisine interne. Trop facile !
Dans le même genre d’idée, on ne
peut que rester pantois lorsque l’on réalise que la fameuse titrisation, qui a
causé les dégâts que l’on sait, est un procédé qui a été institué le plus
légalement du monde dans le but avoué de faire du hors bilan et ainsi échapper
aux règles prudentielles et aux obligations de fonds propres mises en place par
le comité de Bâle.
Une fois de plus, on constate que
lorsque l’on laisse la possibilité d’établir les règles à ceux-là même à qui elles
s’appliquent, on court droit à la
catastrophe. A plus forte raison quand, en plus, ces règles sont, soit purement
ignorées, soit adaptées pour devenir inutiles. Mais faut-il être vraiment un
génie pour se douter de cela ?
Dans le domaine de la comptabilité comme dans tant d’autres domaines, un énorme travail d’information et de contrôle démocratique reste à faire. La crise financière n’est pas tant due aux normes qu’à leur dévoiement et à l’absence d’institutions démocratiques indépendantes chargées d’en vérifier la pertinence et la bonne application.
(1) L’Union
Européenne mise aux normes américaines (Jacques richard- Le Monde
diplomatique.fr- Novembre 2005)
(2) Le doute n’épargne pas
les normes comptables (Marc Michaux-L’expansion- Novembre 2008)
(3) Jusqu’à quand ? Pour
en finir avec les crises financières (F.Lordon)