Etienne dit (18 octobre 2008 à 18:04)

J’ai lu la plupart des articles de ce blog, et j’y vois surtout comment une montagne peut accoucher d’une souris: l’essentiel y réside dans l’obstination de M. Jorion à refuser l’idée d’une création “ex nihilo” de monnaie par les banques commerciales, ce qui donne lieu à de multiples considérations hasardeuses sur la nature de la monnaie noyées au sein d’une multitude d’aspects techniques à propos de la « vitesse de circulation » de la monnaie, qui se couvrent étrangement chez certains blogueurs d’habits épistémologiques…Or le mécanisme de la création monétaire n’est pas un secret, il est enseigné dans tous les lycées, et quelques lectures ou quelques heures de cours d’économie de second degré auraient évité à M. Jorion de s’aventurer dans des raisonnements bien hasardeux…qui frisent parfois le pathétique.

Cette obstination ainsi que de nombreux raisonnements confus se fondent sur plusieurs contresens et idées fausses pourtant faciles à démonter. En voici les principaux:

 -l’idée selon laquelle la monnaie représente une quantité de richesses:
C’est faux, la monnaie, scripturale ou fiduciaire, est un signe purement conventionnel qui permet à un instant t d’acquérir un certain nombre de biens ou de services, c’est tout. Tant que les transactions ne sont pas réalisées, la monnaie n’est qu’un potentiel d’acquisition: l’inflation, est le phénomène qui traduit concrètement cette dichotomie fondamentale entre monnaie et richesse.
La richesse, c’est-à-dire le patrimoine, est essentiellement matérialisée sous la forme d’actifs, mobiliers ou immobiliers, détenus par les agents, et qui ne sont pas liquides, c’est-à-dire qui n’ont pas de pouvoir d’achat immédiat, puisqu’il faut d’abord les vendre pour les transformer en monnaie. Le fait que ces actifs donnent lieu à une rémunération (intérêts, loyers ou dividendes) alors que la détention de monnaie subit l’inflation explique que seule une infime partie de la richesse est conservée sous forme monétaire. La seule exception à cela est la “préférence pour la liquidité”, qui apparaît lorsqu’une dépréciation massive des actifs illiquides intervient (crise boursière ou immobilière), où les agents se ruent alors sur la monnaie.

 -l’idée selon laquelle seules les banques centrales créent de la monnaie:
M. Jorion écrit: « qu’une banque prête ses fonds propres ou les dépôts de ses clients est indifférent: il s’agit toujours d’argent qui existait préalablement ». Cette assertion est complètement erronée. M. Jorion n’a toujours pas compris le mécanisme du crédit, malgré les nombreuses interventions des blogueurs: les banques de second rang ne prêtent ni leurs fonds propres ni leur dépôts, mais ne font qu’écrire littéralement (monnaie « scripturale ») le montant du crédit alloué simultanément à leur actif et au passif de l’emprunteur, c’est tout. Il ne s’agit donc absolument pas « d’argent qui existait préalablement ». La seule limite à cette création « ex nihilo » de monnaie est l’obligation pour ces banques de détenir une réserve de monnaie centrale (fiduciaire), afin de faire face aux retraits des titulaires de comptes. Si je contracte un emprunt auprès de ma banque et que je me rue au guichet pour le transformer entièrement en cash, je prive mon banquier, toutes choses égales par ailleurs, de toute possibilité d’accorder un crédit d’un montant équivalent à un autre client. Mais comme l’essentiel de la monnaie ainsi créée reste sous sa forme scripturale initiale, les banques commerciales peuvent continuer à créer de la monnaie bien au delà de leurs réserve en monnaie centrale. C’est aussi simple que cela.
La différence essentielle entre monnaie fiduciaire et scripturale est que la monnaie fiduciaire a cours légal (aucune transaction ne peut être légalement refusée), tandis que la monnaie scripturale ne jouit pas de ce privilège (les 1000 euros de mon compte bancaire sont en ce sens une promesse de me délivrer 1000 euros sonnants et trébuchants, et jusqu’à présent, cette promesse a été tenue par ma banque…rien ne me dit que ce sera le cas demain). Toutefois, en dehors des situations de panique bancaire, c’est-à-dire en situation normale, ces deux formes monétaires sont équivalentes, sachant que c’est par la seconde que s’effectuent l’essentiel des transactions en régime normal.
En autorisant les banques de second rang à accorder des crédits bien au delà de leurs réserves, les banques centrales délèguent l’essentiel de la création monétaire à celles-ci: si l’on peut contester la légitimité d’un tel mécanisme, contester sa réalité relève d’un esprit borné. Les banques centrales ne font que contrôler indirectement cette émission par l’intermédiaire d’un dispositif qui a été maintes fois expliqué dans le blog, notamment par le biais de l’escompte (le refinancement des banques en monnaie banque centrale).

 -l’idée selon laquelle les crédits accordés sans contrepartie impliqueraient une croissance indéfinie de la masse monétaire:
Ce que ne semble pas saisir M. Jorion, c’est que toute création monétaire « ex nihilo », c’est-à-dire sans contrepartie (c’est le cas de n’importe quel crédit de base) contient en elle-même sa propre destruction, à travers le remboursement de la dette. C’est donc non seulement un processus nécessaire au financement de l’économie, mais en outre relativement stable lorsqu’il est maîtrisé.
En dehors du risque de non remboursement, où l’intérêt est la façon, légitime ou non, de prendre en compte ce risque, la création monétaire est un flux net, renouvelé en permanence, dont le résultat est à somme nulle voire négative (compte tenu des intérêts): c’est simplement la différence entre l’émission de nouvelles créances et l’extinction de celles-ci par les remboursements.
En régime normal, ce processus est parfaitement maîtrisé par les banques de second rang, qui s’assurent autant que possible de la solvabilité de leurs débiteurs, ainsi que par les banques centrales, qui déterminent le taux d’intérêt, c’est-à-dire indirectement la masse des crédits finalement accordées par les banques de second rang. La création nette de monnaie suit donc généralement le taux de croissance de l’économie, sauf lorsque les banques centrales maintiennent des taux artificiellement bas pour soutenir la croissance réelle de la production, et que celle-ci ne suit pas, pour des tas de raisons trop longues à décrire ici: le surplus de monnaie se traduit alors soit par l’inflation des biens et services (dans le cas où le système productif ne parvient pas à répondre à la hausse de la demande), soit alimente l’inflation des actifs financiers ou immobiliers (bulle boursière ou immobilière). Dans tous les cas, l’équation monétariste de la théorie quantitative de la monnaie (Mv = pQ) est vérifiée ex post.
La création de monnaie par les crédits bancaires est donc non seulement un fait qu’il est absurde de vouloir contester; et un fait qui n’est pas en lui-même un scandale, bien au contraire. C’est un mécanisme absolument nécessaire au financement de l’économie, relativement stable et maîtrisé lorsqu’il est soumis à des règles prudentielles: il n’y a donc pas de quoi en faire un plat…à condition de maintenir un encadrement strict du crédit.
En effet, les problèmes n’arrivent que lorsque l’on désintéresse les banques de la solvabilité des débiteurs, en leur permettant de transformer leurs créances en titres qu’elles s’empressent de vendre: là, le robinet à crédit est grand ouvert, les créances douteuses se baladent un peu partout sous forme de titres et la création monétaire ne connaît plus de limites…c’est ce qui est à l’origine de la crise actuelle. Il aurait suffi d’interdire ces pratiques pour empêcher cela, sans pour autant interdire aux banques de créer de la monnaie.

 -l’idée selon laquelle la monnaie a forcément une contrepartie réelle:
M. Jorion est obsédé par le principe de “conservation des quantités”, selon lequel toute création monétaire serait fondée sur un surplus de richesse réelle, c’est-à-dire une création de biens ou de services. Je cite: “la création de monnaie est une illusion d’optique due au fait qu’il y a création de richesse par la combinaison du capital avancé par la banque, le travail fourni par l’emprunteur et[...] l’action du soleil”.
Ce principe est un contresens total: M. Jorion confond l’émission d’une créance avec son extinction, c’est-à-dire le remboursement de la dette. La création monétaire par le crédit est un pari sur l’avenir, c’est-à-dire l’espoir que cette dette sera remboursée à échéance: en fin de compte, si l’on met de côté les emprunts utilisés à des fins purement spéculatives, c’est effectivement l’activité économique des agents emprunteurs, qui, en générant des revenus, leur permettra de rembourser la dette initiale, et donc d’éteindre la créance, ce qui revient à une destruction de monnaie ex post. C’est donc bien la croissance de la production qui à terme permet l’extinction du surplus monétaire généré par le crédit.
Mais ce mécanisme n’est pas automatique puisqu’il repose sur l’incertitude fondamentale qui touche les remboursements futurs: ainsi, sur le plan macro-économique, si une partie de la monnaie mise en circulation est affectée à la spéculation (opération d’achat et de ventes de titres ou de biens), il y a formation de bulles, c’est-à-dire inflation du prix des actifs (bulle immobilière ou financière) ou de celui de certains biens (matières premières). Dans ce cas, et dans ce cas seulement, la monnaie ne trouve pas sa contrepartie réelle dans l’accroissement de la production, qui reste la seule façon d’éteindre la dette sur le plan macro-économique. Une partie des agents se trouve alors en défaut de paiement, et, ne disposant pas de revenus réels suffisant pour faire face à leurs échéances, se trouve contrainte de revendre ses actifs, entraînant une dépréciation générale de ceux-ci, et un dégonflement brutal des bulles spéculatives, provoquant un risque d’effondrement d’un système fondé sur la confiance (la promesse que les euros crédités sur mon compte courant ne le sont pas en monnaie de singe).
Le problème central vient donc du fait que toutes les dettes n’étant pas remboursées, la monnaie créée ex ante ne trouve pas systématiquement sa contrepartie réelle ex post: c’est exactement ce qui s’est produit avec la crise des subprimes. S’il peut être limité par des règles prudentielles strictes, ce phénomène est inévitable, il n’a rien à voir avec l’existence ou non d’un intérêt, et provient de l’incertitude fondamentale concernant le futur. La seule façon de le limiter est de contrôler sévèrement l’attribution des crédits, et de rendre très coûteuse l’émission de monnaie à des fins spéculatives (Lordon propose le découplage du taux d’intérêt selon l’usage des crédits).

Là où le contresens initial s’exprime dans toute son aberration logique, c’est lorsque M. Jorion écrit plus loin que “celui qui emprunte à la banque en crée [de la monnaie], puisqu’il lui reste au bout du compte la richesse qu’il a créé grâce au capital emprunté”: il faudrait que M. Jorion explique quelle richesse il crée lorsqu’il contracte un emprunt pour financer l’acquisition d’une automobile….
C’est évidemment la banque qui crée ex ante un “effet de richesse” virtuel (c’est la définition même de la monnaie), car la création de richesse relève de la sphère de la production, et non pas de la sphère monétaire: c’est par exemple l’activité économique de l’emprunteur qui lui fournira les revenus lui permettant de rembourser son emprunt -à condition qu’il le rembourse. Il y a donc eu forcément création de richesse ailleurs que dans la sphère financière au moment ou la dette est remboursée – et destruction équivalente de monnaie -, mais certainement pas au moment où l’emprunt est contracté. La plupart des contresens concernant la monnaie viennent de la non prise en compte de ce décalage entre présent et futur: la monnaie n’est pas seulement un intermédiaire des échanges présents, c’est aussi le substrat des revenus anticipés. En d’autres termes, la création monétaire n’est pas une création de richesse, elle ne fait qu’anticiper celle-ci.

 -l’idée selon laquelle la critique générale de l’intérêt (au sens d’usure) ait un rapport quelconque avec les crises financières récurrentes:
M. Jorion semble condamner l’existence de l’intérêt dans le mode de production capitaliste: c’est une position politique qui n’a rien à voir avec le fait que les banques commerciales créent de la monnaie sous forme de crédits, sous le contrôle indirect des banques centrales, puisque ces dernières imposent aussi aux premières un taux d’intérêt lors des opérations de refinancement. Si M. Jorion veut s’atteler à la critique générale du capitalisme, qu’il s’attaque directement à la question de la propriété privée des moyens de production, comme l’avait fait Marx, mais la question de la création monétaire n’est certainement pas la bonne entrée. L’intérêt est une pratique généralisée fondée sur la légitimation de la rémunération de l’avance de fonds privés, et dépasse largement la question de la création monétaire.
La question de l’intérêt relève essentiellement de celle du partage de la valeur ajoutée entre détenteurs d’actifs et travailleurs, ainsi que de celle du consensus social et politique autour du « prix » à accorder aux revenus futurs en situation d’incertitude; mais elle ne peut à elle seule résumer les contradictions du capitalisme. La suppression de l’intérêt implique par elle-même la disparition de la propriété privée: ce débat dépasse donc largement celui des crises financière récurrentes de ce mode de production.

Autre bizarrerie de ce blog, une thèse à la mode qui consiste à faire dépendre la course à la croissance réelle du produit de la seule pression du taux d’intérêt, selon l’idée séduisante que la masse des fonds remboursés serait structurellement supérieure à celle des fonds avancés, la « pompe à finances » forçant ainsi sans arrêt l’économie à générer toujours plus de surplus. Selon cette thèse seule la suppression de l’intérêt permettrait de stopper la course folle à la croissance: malheureusement cette thèse anthropo-écologico-financière est simpliste voire fantaisiste.
D’une part c’est accorder bien trop d’importance au rôle de la monnaie comme moteur de croissance: la croissance économique, qu’on y soit favorable ou non, puise ses forces dans un jeu complexe de déterminations économiques, politiques, mais aussi sociales et culturelles qui pousse pour le dire trivialement les ménages à « travailler plus pour gagner plus » et ainsi consommer plus, et les entreprises à mettre tout en oeuvre pour que les ménages agissent ainsi, à grand renfort de marketing, de publicité et d’innovations, afin de trouver des débouchés à leurs produits. En ce sens, l’arme absolue de la « décroissance » réside bien plus dans le refus de participer aux activités économiques de production et de consommation, que dans la prohibition de l’usure.
D’autre part, c’est encore « réifier » la monnaie, qui reste avant tout un signe conventionnel, que de penser qu’il y aurait une causalité univoque entre croissance de la masse monétaire et croissance du produit réel: on ne désire pas la monnaie pour elle-même mais pour les biens et services qu’elle permet d’acquérir. C’est oublier enfin le rôle de l’inflation qui peut rendre les taux d’intérêts nuls voire négatifs, ainsi qu’ignorer qu’une masse importante de crédits ne sont jamais remboursés. Sur le plan macro-économique, faire dépendre la croissance économique réelle de la seule croissance indéfinie de la masse monétaire relève d’une réification de la monnaie, c’est-à-dire d’une forme de fétichisme théorisé.

Synthèse: grandeur et misère du savoir « collectif » sur Internet:

Plus de trois cent pages, c’est-à-dire des centaines d’heures d’énergie intellectuelle dépensée collectivement en pure perte: peut-on en attribuer la seule responsabilité à l’autisme intellectuel du fondateur de ce blog? Non, bien entendu, et c’est ce qui fait la grandeur et la misère de l’idéologie du « savoir collectif », soi-disant démocratique (le « wiki-savoir »): les ambitions les plus louables produisent de bien piètres résultats. L’apparente démocratie d’un savoir engendré par tous conforte la mystification qui consiste à croire que la connaissance est une somme d’opinions individuelles: en ce sens, les innombrables interventions des blogueurs sont toutes présentées sur un pied d’égalité, alors que leur degré de pertinence et de rigueur est extrêmement variable. La pensée « scientifique », en tout cas rigoureuse, ne peut se développer dans le chaos des opinions, en l’absence de toute référence à l’histoire scientifique, en l’occurrence celle des sciences économiques.
Le résultat de cette mystification est d’autant plus triste qu’il est en grande partie justifié: ce blog est une réponse légitime à l’indécente mainmise idéologique dont souffre les sciences économiques aujourd’hui, jusque dans les universités. Mais ce n’est pas une raison pour tomber dans l’excès inverse qui consiste à bricoler un attirail conceptuel avec des éléments épars de culture économique et prétendre rivaliser avec la science dominante, et ceci pour deux raisons. D’une part, la chance d’être lu ou entendu reste faible au milieu d’un tel fouillis où le pire côtoie le meilleur du point de vue de la rigueur et de la pertinence des concepts; d’autre part, il n’existe aucune instance, aucun jury compétent susceptible de juger de la pertinence des thèses accumulées sur un blog: compte tenu de l’hétérogénéité de la culture scientifique des amateurs éclairés, la pro
babilité pour que ceux-ci parlent le même langage est proche de zéro.

D’où l’extraordinaire stérilité de cette masse d’échanges électroniques: chacun développe sa thèse sur la monnaie, mais en réalité, personne ne parle de la même chose. Malgré les dénégations de M. Jorion (« on avance »! se réjouit-il, alors que n’importe quel lecteur se rend compte que de la première à la dernière page, on fait du surplace: à chaque intervention, on repart de zéro!). La preuve en est que M. Jorion semble reconnaître un moment son erreur, pour réécrire trois pages plus tard qu’en fait il avait raison, et que ses contradicteurs lui donnent raison à propos de la création monétaire: l’un d’entre eux lui fait remarquer que pas du tout, il ne s’est pas fait comprendre, et cela fait autant d’effet qu’un pet de mouche…La contradiction du savoir amateur collectif arrive à son apogée lorsqu’on en vient à s’en référer aux écrits de spécialistes reconnus, comme Maurice Allais: on voit bien que les blogueurs ne peuvent s’empêcher de s’en référer à un savoir qu’ils prétendent concurrencer. On aboutit à des raisonnement parfaitement surréalistes, qui s’apparentent plus à l’herméneutique (l’interprétation des textes sacrés) qu’à la science: à un moment M. Jorion, au détour d’une argumentation parfaitement absconse, prétend avoir démontré la fausseté de la thèse de M. Allais, et il en déduit que ce que à quoi s’accordent la totalité des spécialistes, à savoir que les banques commerciales créent de la monnaie, est faux….outre la stupéfiante vanité d’une telle démarche, malgré l’expérience dont se targue M. Jorion en matière d’anthropologie et de conseil financier, on reste sans voix devant une telle méthode. A ce titre, j’attends avec impatience de lire le blog d’un technicien d’EDF qui viendrait contester la théorie de la relativité générale…

Plus sérieusement, on perçoit bien la tentative de M. Jorion de « réinventer » la critique du capitalisme afin de mettre en évidence ses contradictions internes, et montrer que la crise actuelle est cosubstantielle à ce mode de production, et n’est pas un simple accident de l’histoire. Mais on ne construit pas un cadre théorique en bricolant des notions floues sur un blog: Karl Marx s’était avalé toute l’Economie Politique, d’Aristote à Ricardo, avant de rédiger sa « Critique »….L’erreur stratégique de M. Jorion réside dans le fait qu’il n’y a pas un seul capitalisme, mais des formes plus ou moins déréglementées et plus ou moins financiarisées de ce mode de production. Plutôt que de reconstruire le Tableau Economique de Quesnay, illustrées par les vielles notions de « terre » et de « soleil », pour dénoncer le système contemporain, peut-être aurait-il été mieux inspiré d’en rabattre un peu sur le plan de l’ambition théorique, en se recentrant sur une critique concrète des mécanismes d’émission des crédits dans l’économie contemporaine. Cela passait avant tout par une compréhension adéquate du mécanisme de création monétaire.

 En définitive, une fois acquis définitivement le rôle fondamental de création monétaire aujourd’hui délégué aux banques commerciales, je propose à M. Jorion de recentrer les questions qui font réellement débat autour des propositions suivantes:

-à court terme, la nécessité d’obliger les banques commerciales à faire leur métier, et à ne faire que cela, c’est-à-dire accorder des crédits en s’assurant de la solvabilité de leurs débiteurs, sous le contrôle des banques centrales, en leur interdisant de passer leurs créances hors de leur bilan (le scandale de la titrisation), qui conduit à la formation puis à l’explosion des bulles immobilières et financières.
-à long terme, la remise en cause de ce monopole au profit d’une reprise en main par les peuples, à travers les Etats, de la création monétaire, puisqu’elle détermine indirectement les choix de consommation et de production dans l’économie réelle. Au delà de la quantité de monnaie en circulation, c’est l’allocation de celle-ci aux agents en besoin de financement qui devrait faire débat. Il semble en effet légitime que ces choix doivent relever de la souveraineté populaire dans une démocratie, et non des seules considérations de rentabilité d’institutions privées. Ceci reviendrait à proposer par exemple la nationalisation massive des établissements de crédit mais aussi la possibilité de monétiser à nouveau une partie de la dette publique, ce qui impliquerait la fin de l’indépendance des banques centrales ainsi que de l’obligation pour les Etats de financer leur déficit par l’emprunt, en vertu de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers.