Le mystère Jorion, suite et fin
Par RST le samedi, 10 janvier 2009, 18:00 - Monnaie - Lien permanent
Pour clore ici le sujet, je vais donner la parole à un
mystérieux Etienne qui avait posté un long commentaire (que je reproduis ci-dessous) avec lequel P.Jorion
prétendait être d’accord à 95 % et qu’à l’époque j’avais trouvé excellent.
Malgré une certaine agressivité dans le ton et quelques
approximations dans les concepts (je pense notamment aux raccourcis concernant
les limites à la création monétaire et les mécanismes de contrôle dont dispose
la Banque Centrale) ce commentaire
mérite d’être attentivement pris en compte pour les raisons suivantes :
- Il réfute un à un méthodiquement les arguments de P.Jorion. Cette réfutation peut-être discutée mais me semble, dans l’ensemble, tenir la route.
- Il propose en conclusion des mesures pour réformer les banques qui vont tout à fait dans le bon sens et qu’il faudra que les pouvoirs politiques étudient un jour ou l’autre.
- Enfin, il analyse de façon très pertinente le rôle des blogs dans la diffusion du savoir dans sa synthèse qu’il a intitulé : "grandeur et misère du savoir « collectif » sur Internet"
J’ai lu la plupart des articles de ce blog, et j’y vois surtout comment une montagne peut accoucher d’une souris: l’essentiel y réside dans l’obstination de M. Jorion à refuser l’idée d’une création “ex nihilo” de monnaie par les banques commerciales, ce qui donne lieu à de multiples considérations hasardeuses sur la nature de la monnaie noyées au sein d’une multitude d’aspects techniques à propos de la « vitesse de circulation » de la monnaie, qui se couvrent étrangement chez certains blogueurs d’habits épistémologiques…Or le mécanisme de la création monétaire n’est pas un secret, il est enseigné dans tous les lycées, et quelques lectures ou quelques heures de cours d’économie de second degré auraient évité à M. Jorion de s’aventurer dans des raisonnements bien hasardeux…qui frisent parfois le pathétique.
Cette obstination ainsi que de nombreux raisonnements confus se fondent sur plusieurs contresens et idées fausses pourtant faciles à démonter. En voici les principaux:
C’est faux, la monnaie, scripturale ou fiduciaire, est un signe purement
conventionnel qui permet à un instant t d’acquérir un certain nombre de biens
ou de services, c’est tout. Tant que les transactions ne sont pas réalisées, la
monnaie n’est qu’un potentiel d’acquisition: l’inflation, est le phénomène qui
traduit concrètement cette dichotomie fondamentale entre monnaie et richesse.
La richesse, c’est-à-dire le patrimoine, est essentiellement matérialisée sous
la forme d’actifs, mobiliers ou immobiliers, détenus par les agents, et qui ne
sont pas liquides, c’est-à-dire qui n’ont pas de pouvoir d’achat immédiat,
puisqu’il faut d’abord les vendre pour les transformer en monnaie. Le fait que
ces actifs donnent lieu à une rémunération (intérêts, loyers ou dividendes)
alors que la détention de monnaie subit l’inflation explique que seule une
infime partie de la richesse est conservée sous forme monétaire. La seule
exception à cela est la “préférence pour la liquidité”, qui apparaît lorsqu’une
dépréciation massive des actifs illiquides intervient (crise boursière ou
immobilière), où les agents se ruent alors sur la monnaie.
M. Jorion écrit: « qu’une banque prête ses fonds propres ou les dépôts de
ses clients est indifférent: il s’agit toujours d’argent qui existait
préalablement ». Cette assertion est complètement erronée. M. Jorion n’a
toujours pas compris le mécanisme du crédit, malgré les nombreuses
interventions des blogueurs: les banques de second rang ne prêtent ni leurs
fonds propres ni leur dépôts, mais ne font qu’écrire littéralement (monnaie
« scripturale ») le montant du crédit alloué simultanément à leur
actif et au passif de l’emprunteur, c’est tout. Il ne s’agit donc absolument
pas « d’argent qui existait préalablement ». La seule limite à cette
création « ex nihilo » de monnaie est l’obligation pour ces banques
de détenir une réserve de monnaie centrale (fiduciaire), afin de faire face aux
retraits des titulaires de comptes. Si je contracte un emprunt auprès de ma
banque et que je me rue au guichet pour le transformer entièrement en cash, je
prive mon banquier, toutes choses égales par ailleurs, de toute possibilité
d’accorder un crédit d’un montant équivalent à un autre client. Mais comme
l’essentiel de la monnaie ainsi créée reste sous sa forme scripturale initiale,
les banques commerciales peuvent continuer à créer de la monnaie bien au delà
de leurs réserve en monnaie centrale. C’est aussi simple que cela.
La différence essentielle entre monnaie fiduciaire et scripturale est que la
monnaie fiduciaire a cours légal (aucune transaction ne peut être légalement
refusée), tandis que la monnaie scripturale ne jouit pas de ce privilège (les
1000 euros de mon compte bancaire sont en ce sens une promesse de me délivrer
1000 euros sonnants et trébuchants, et jusqu’à présent, cette promesse a été
tenue par ma banque…rien ne me dit que ce sera le cas demain). Toutefois, en
dehors des situations de panique bancaire, c’est-à-dire en situation normale,
ces deux formes monétaires sont équivalentes, sachant que c’est par la seconde
que s’effectuent l’essentiel des transactions en régime normal.
En autorisant les banques de second rang à accorder des crédits bien au delà de
leurs réserves, les banques centrales délèguent l’essentiel de la création
monétaire à celles-ci: si l’on peut contester la légitimité d’un tel mécanisme,
contester sa réalité relève d’un esprit borné. Les banques centrales ne font
que contrôler indirectement cette émission par l’intermédiaire d’un dispositif
qui a été maintes fois expliqué dans le blog, notamment par le biais de
l’escompte (le refinancement des banques en monnaie banque centrale).
Ce que ne semble pas saisir M. Jorion, c’est que toute création monétaire
« ex nihilo », c’est-à-dire sans contrepartie (c’est le cas de
n’importe quel crédit de base) contient en elle-même sa propre destruction, à
travers le remboursement de la dette. C’est donc non seulement un processus
nécessaire au financement de l’économie, mais en outre relativement stable
lorsqu’il est maîtrisé.
En dehors du risque de non remboursement, où l’intérêt est la façon, légitime
ou non, de prendre en compte ce risque, la création monétaire est un flux net,
renouvelé en permanence, dont le résultat est à somme nulle voire négative
(compte tenu des intérêts): c’est simplement la différence entre l’émission de
nouvelles créances et l’extinction de celles-ci par les remboursements.
En régime normal, ce processus est parfaitement maîtrisé par les banques de
second rang, qui s’assurent autant que possible de la solvabilité de leurs
débiteurs, ainsi que par les banques centrales, qui déterminent le taux
d’intérêt, c’est-à-dire indirectement la masse des crédits finalement accordées
par les banques de second rang. La création nette de monnaie suit donc
généralement le taux de croissance de l’économie, sauf lorsque les banques
centrales maintiennent des taux artificiellement bas pour soutenir la
croissance réelle de la production, et que celle-ci ne suit pas, pour des tas
de raisons trop longues à décrire ici: le surplus de monnaie se traduit alors
soit par l’inflation des biens et services (dans le cas où le système productif
ne parvient pas à répondre à la hausse de la demande), soit alimente
l’inflation des actifs financiers ou immobiliers (bulle boursière ou
immobilière). Dans tous les cas, l’équation monétariste de la théorie
quantitative de la monnaie (Mv = pQ) est vérifiée ex post.
La création de monnaie par les crédits bancaires est donc non seulement un fait
qu’il est absurde de vouloir contester; et un fait qui n’est pas en lui-même un
scandale, bien au contraire. C’est un mécanisme absolument nécessaire au
financement de l’économie, relativement stable et maîtrisé lorsqu’il est soumis
à des règles prudentielles: il n’y a donc pas de quoi en faire un plat…à
condition de maintenir un encadrement strict du crédit.
En effet, les problèmes n’arrivent que lorsque l’on désintéresse les banques de
la solvabilité des débiteurs, en leur permettant de transformer leurs créances
en titres qu’elles s’empressent de vendre: là, le robinet à crédit est grand
ouvert, les créances douteuses se baladent un peu partout sous forme de titres
et la création monétaire ne connaît plus de limites…c’est ce qui est à
l’origine de la crise actuelle. Il aurait suffi d’interdire ces pratiques pour
empêcher cela, sans pour autant interdire aux banques de créer de la monnaie.
M. Jorion est obsédé par le principe de “conservation des quantités”, selon
lequel toute création monétaire serait fondée sur un surplus de richesse
réelle, c’est-à-dire une création de biens ou de services. Je cite: “la
création de monnaie est une illusion d’optique due au fait qu’il y a création
de richesse par la combinaison du capital avancé par la banque, le travail
fourni par l’emprunteur et[...] l’action du soleil”.
Ce principe est un contresens total: M. Jorion confond l’émission d’une créance
avec son extinction, c’est-à-dire le remboursement de la dette. La création
monétaire par le crédit est un pari sur l’avenir, c’est-à-dire l’espoir que
cette dette sera remboursée à échéance: en fin de compte, si l’on met de côté
les emprunts utilisés à des fins purement spéculatives, c’est effectivement
l’activité économique des agents emprunteurs, qui, en générant des revenus,
leur permettra de rembourser la dette initiale, et donc d’éteindre la créance,
ce qui revient à une destruction de monnaie ex post. C’est donc bien la
croissance de la production qui à terme permet l’extinction du surplus
monétaire généré par le crédit.
Mais ce mécanisme n’est pas automatique puisqu’il repose sur l’incertitude
fondamentale qui touche les remboursements futurs: ainsi, sur le plan
macro-économique, si une partie de la monnaie mise en circulation est affectée
à la spéculation (opération d’achat et de ventes de titres ou de biens), il y a
formation de bulles, c’est-à-dire inflation du prix des actifs (bulle immobilière
ou financière) ou de celui de certains biens (matières premières). Dans ce cas,
et dans ce cas seulement, la monnaie ne trouve pas sa contrepartie réelle dans
l’accroissement de la production, qui reste la seule façon d’éteindre la dette
sur le plan macro-économique. Une partie des agents se trouve alors en défaut
de paiement, et, ne disposant pas de revenus réels suffisant pour faire face à
leurs échéances, se trouve contrainte de revendre ses actifs, entraînant une
dépréciation générale de ceux-ci, et un dégonflement brutal des bulles
spéculatives, provoquant un risque d’effondrement d’un système fondé sur la
confiance (la promesse que les euros crédités sur mon compte courant ne le sont
pas en monnaie de singe).
Le problème central vient donc du fait que toutes les dettes n’étant pas
remboursées, la monnaie créée ex ante ne trouve pas systématiquement sa
contrepartie réelle ex post: c’est exactement ce qui s’est produit avec la
crise des subprimes. S’il peut être limité par des règles prudentielles strictes,
ce phénomène est inévitable, il n’a rien à voir avec l’existence ou non d’un
intérêt, et provient de l’incertitude fondamentale concernant le futur. La
seule façon de le limiter est de contrôler sévèrement l’attribution des
crédits, et de rendre très coûteuse l’émission de monnaie à des fins
spéculatives (Lordon propose le découplage du taux d’intérêt selon l’usage des
crédits).
Là où le contresens initial s’exprime dans toute son
aberration logique, c’est lorsque M. Jorion écrit plus loin que “celui qui
emprunte à la banque en crée [de la monnaie], puisqu’il lui reste au bout du
compte la richesse qu’il a créé grâce au capital emprunté”: il faudrait que M.
Jorion explique quelle richesse il crée lorsqu’il contracte un emprunt pour
financer l’acquisition d’une automobile….
C’est évidemment la banque qui crée ex ante un “effet de richesse” virtuel
(c’est la définition même de la monnaie), car la création de richesse relève de
la sphère de la production, et non pas de la sphère monétaire: c’est par
exemple l’activité économique de l’emprunteur qui lui fournira les revenus lui
permettant de rembourser son emprunt -à condition qu’il le rembourse. Il y a
donc eu forcément création de richesse ailleurs que dans la sphère financière
au moment ou la dette est remboursée – et destruction équivalente de monnaie -,
mais certainement pas au moment où l’emprunt est contracté. La plupart des
contresens concernant la monnaie viennent de la non prise en compte de ce
décalage entre présent et futur: la monnaie n’est pas seulement un
intermédiaire des échanges présents, c’est aussi le substrat des revenus
anticipés. En d’autres termes, la création monétaire n’est pas une création de
richesse, elle ne fait qu’anticiper celle-ci.
M. Jorion semble
condamner l’existence de l’intérêt dans le mode de production capitaliste:
c’est une position politique qui n’a rien à voir avec le fait que les banques
commerciales créent de la monnaie sous forme de crédits, sous le contrôle
indirect des banques centrales, puisque ces dernières imposent aussi aux
premières un taux d’intérêt lors des opérations de refinancement. Si M. Jorion
veut s’atteler à la critique générale du capitalisme, qu’il s’attaque
directement à la question de la propriété privée des moyens de production,
comme l’avait fait Marx, mais la question de la création monétaire n’est
certainement pas la bonne entrée. L’intérêt est une pratique généralisée fondée
sur la légitimation de la rémunération de l’avance de fonds privés, et dépasse
largement la question de la création monétaire.
La question de l’intérêt relève essentiellement de celle du partage de la
valeur ajoutée entre détenteurs d’actifs et travailleurs, ainsi que de celle du
consensus social et politique autour du « prix » à accorder aux
revenus futurs en situation d’incertitude; mais elle ne peut à elle seule
résumer les contradictions du capitalisme. La suppression de l’intérêt implique
par elle-même la disparition de la propriété privée: ce débat dépasse donc
largement celui des crises financière récurrentes de ce mode de production.
Autre bizarrerie de ce blog, une thèse à la mode qui
consiste à faire dépendre la course à la croissance réelle du produit de la
seule pression du taux d’intérêt, selon l’idée séduisante que la masse des
fonds remboursés serait structurellement supérieure à celle des fonds avancés,
la « pompe à finances » forçant ainsi sans arrêt l’économie à générer
toujours plus de surplus. Selon cette thèse seule la suppression de l’intérêt
permettrait de stopper la course folle à la croissance: malheureusement cette
thèse anthropo-écologico-financière est simpliste voire fantaisiste.
D’une part c’est accorder bien trop d’importance au rôle de la monnaie comme
moteur de croissance: la croissance économique, qu’on y soit favorable ou non,
puise ses forces dans un jeu complexe de déterminations économiques,
politiques, mais aussi sociales et culturelles qui pousse pour le dire
trivialement les ménages à « travailler plus pour gagner plus » et
ainsi consommer plus, et les entreprises à mettre tout en oeuvre pour que les
ménages agissent ainsi, à grand renfort de marketing, de publicité et
d’innovations, afin de trouver des débouchés à leurs produits. En ce sens,
l’arme absolue de la « décroissance » réside bien plus dans le refus
de participer aux activités économiques de production et de consommation, que
dans la prohibition de l’usure.
D’autre part, c’est encore « réifier » la monnaie, qui reste avant
tout un signe conventionnel, que de penser qu’il y aurait une causalité
univoque entre croissance de la masse monétaire et croissance du produit réel:
on ne désire pas la monnaie pour elle-même mais pour les biens et services
qu’elle permet d’acquérir. C’est oublier enfin le rôle de l’inflation qui peut
rendre les taux d’intérêts nuls voire négatifs, ainsi qu’ignorer qu’une masse
importante de crédits ne sont jamais remboursés. Sur le plan macro-économique,
faire dépendre la croissance économique réelle de la seule croissance indéfinie
de la masse monétaire relève d’une réification de la monnaie, c’est-à-dire
d’une forme de fétichisme théorisé.
Plus de trois cent pages, c’est-à-dire des centaines
d’heures d’énergie intellectuelle dépensée collectivement en pure perte:
peut-on en attribuer la seule responsabilité à l’autisme intellectuel du
fondateur de ce blog? Non, bien entendu, et c’est ce qui fait la grandeur et la
misère de l’idéologie du « savoir collectif », soi-disant
démocratique (le « wiki-savoir »): les ambitions les plus louables
produisent de bien piètres résultats. L’apparente démocratie d’un savoir
engendré par tous conforte la mystification qui consiste à croire que la
connaissance est une somme d’opinions individuelles: en ce sens, les
innombrables interventions des blogueurs sont toutes présentées sur un pied
d’égalité, alors que leur degré de pertinence et de rigueur est extrêmement
variable. La pensée « scientifique », en tout cas rigoureuse, ne peut
se développer dans le chaos des opinions, en l’absence de toute référence à
l’histoire scientifique, en l’occurrence celle des sciences économiques.
Le résultat de cette mystification est d’autant plus triste qu’il est en grande
partie justifié: ce blog est une réponse légitime à l’indécente mainmise
idéologique dont souffre les sciences économiques aujourd’hui, jusque dans les
universités. Mais ce n’est pas une raison pour tomber dans l’excès inverse qui
consiste à bricoler un attirail conceptuel avec des éléments épars de culture
économique et prétendre rivaliser avec la science dominante, et ceci pour deux
raisons. D’une part, la chance d’être lu ou entendu reste faible au milieu d’un
tel fouillis où le pire côtoie le meilleur du point de vue de la rigueur et de
la pertinence des concepts; d’autre part, il n’existe aucune instance, aucun
jury compétent susceptible de juger de la pertinence des thèses accumulées sur
un blog: compte tenu de l’hétérogénéité de la culture scientifique des amateurs
éclairés, la pro
D’où l’extraordinaire stérilité de cette masse d’échanges électroniques: chacun développe sa thèse sur la monnaie, mais en réalité, personne ne parle de la même chose. Malgré les dénégations de M. Jorion (« on avance »! se réjouit-il, alors que n’importe quel lecteur se rend compte que de la première à la dernière page, on fait du surplace: à chaque intervention, on repart de zéro!). La preuve en est que M. Jorion semble reconnaître un moment son erreur, pour réécrire trois pages plus tard qu’en fait il avait raison, et que ses contradicteurs lui donnent raison à propos de la création monétaire: l’un d’entre eux lui fait remarquer que pas du tout, il ne s’est pas fait comprendre, et cela fait autant d’effet qu’un pet de mouche…La contradiction du savoir amateur collectif arrive à son apogée lorsqu’on en vient à s’en référer aux écrits de spécialistes reconnus, comme Maurice Allais: on voit bien que les blogueurs ne peuvent s’empêcher de s’en référer à un savoir qu’ils prétendent concurrencer. On aboutit à des raisonnement parfaitement surréalistes, qui s’apparentent plus à l’herméneutique (l’interprétation des textes sacrés) qu’à la science: à un moment M. Jorion, au détour d’une argumentation parfaitement absconse, prétend avoir démontré la fausseté de la thèse de M. Allais, et il en déduit que ce que à quoi s’accordent la totalité des spécialistes, à savoir que les banques commerciales créent de la monnaie, est faux….outre la stupéfiante vanité d’une telle démarche, malgré l’expérience dont se targue M. Jorion en matière d’anthropologie et de conseil financier, on reste sans voix devant une telle méthode. A ce titre, j’attends avec impatience de lire le blog d’un technicien d’EDF qui viendrait contester la théorie de la relativité générale…
Plus sérieusement, on perçoit bien la tentative de M. Jorion de « réinventer » la critique du capitalisme afin de mettre en évidence ses contradictions internes, et montrer que la crise actuelle est cosubstantielle à ce mode de production, et n’est pas un simple accident de l’histoire. Mais on ne construit pas un cadre théorique en bricolant des notions floues sur un blog: Karl Marx s’était avalé toute l’Economie Politique, d’Aristote à Ricardo, avant de rédiger sa « Critique »….L’erreur stratégique de M. Jorion réside dans le fait qu’il n’y a pas un seul capitalisme, mais des formes plus ou moins déréglementées et plus ou moins financiarisées de ce mode de production. Plutôt que de reconstruire le Tableau Economique de Quesnay, illustrées par les vielles notions de « terre » et de « soleil », pour dénoncer le système contemporain, peut-être aurait-il été mieux inspiré d’en rabattre un peu sur le plan de l’ambition théorique, en se recentrant sur une critique concrète des mécanismes d’émission des crédits dans l’économie contemporaine. Cela passait avant tout par une compréhension adéquate du mécanisme de création monétaire.
-à court terme, la nécessité d’obliger les banques commerciales à faire leur
métier, et à ne faire que cela, c’est-à-dire accorder des crédits en s’assurant
de la solvabilité de leurs débiteurs, sous le contrôle des banques centrales,
en leur interdisant de passer leurs créances hors de leur bilan (le scandale de
la titrisation), qui conduit à la formation puis à l’explosion des bulles
immobilières et financières.
-à long terme, la remise en cause de ce monopole au profit d’une reprise en
main par les peuples, à travers les Etats, de la création monétaire,
puisqu’elle détermine indirectement les choix de consommation et de production
dans l’économie réelle. Au delà de la quantité de monnaie en circulation, c’est
l’allocation de celle-ci aux agents en besoin de financement qui devrait faire
débat. Il semble en effet légitime que ces choix doivent relever de la
souveraineté populaire dans une démocratie, et non des seules considérations de
rentabilité d’institutions privées. Ceci reviendrait à proposer par exemple la
nationalisation massive des établissements de crédit mais aussi la possibilité
de monétiser à nouveau une partie de la dette publique, ce qui impliquerait la
fin de l’indépendance des banques centrales ainsi que de l’obligation pour les
Etats de financer leur déficit par l’emprunt, en vertu de la primauté de
l’intérêt général sur les intérêts particuliers.